Présentation
Chères amies, Chers amis,
Cette biographie, telle qu’elle ne pouvait pas être autrement, a été retracée par plusieurs personnes et écrite par les mains de Sarah avec l’aide d’Enedina.
Pour rendre possible la rédaction de cette biographie, il a été nécessaire recourir à Nancy Bazin, dont le témoignage à côté de Maurice, entre 1955 et 1974, a été généreusement rédigé par elle-même pour le livre qui lui rend hommage et qui est en train d’être organisé par Alessandra Rangel et Eleonora Kurtenbach, actuelle présidente de l’Espaço Ciência Viva (ECV) – Espace Science Vivante. Nous avons eu le privilège d’avoir ce texte en première main, grâce à l’offre généreuse d’Eleonora qui nous a permis de le publier sur le site.
La période entre 1974 et 1986 a été vivement racontée récemment par Tetê Moraes dans une interview avec Sarah Bazin et la période entre 1987 et 2009 a été retracée par Enedina Martins et Sarah Bazin.
Nous ne pensons nullement que cette biographie soit achevée, bien au contraire, pour nous ce n’est qu’une esquisse, une description partielle de ce que chacun de nous a vécu, a témoigné de la vie de Maurice et de sa trajectoire singulière.
Pour remonter soigneusement à chaque étape avec toutes ses nuances, nous aimerions pouvoir compter sur tous ceux et celles qui ont connu et travaillé avec Maurice. Nous sommes sûrs que les témoignages de chacun/chacune dévoilera de nombreuses facettes de Maurice encore inconnues de la majorité. C’est donc l’intention de la publication de ce site et de cette plateforme participative, de mettre en lumière le Maurice historique, vécu par chacun de nous.
Nous vous invitons, tous et toutes, à cette construction collective !
Nous vous embrassons !
Sarah et Eric Martins Bazin et Enedina Martins.
Maurice Jacques Bazin 1934-2009
Biographie
Maurice Jacques Bazin est né à Neuilly-Sur-Seine, France, le 17 Août 1934, fils de Georgette Yvonne Sommier et Jean León Bazin. Maurice a été fils unique.
Il a été élevé par sa grand-mère maternelle, Berthe Sommier et il a reçu le prénom de son grand-père maternel, Maurice Sommier. Ce dernier a travaillé comme chauffeur d’une famille aristocratique, il a été mécanicien de l’une des premières voitures françaises et le créateur du frein à main. Il a participé à la première course automobile.
À la fin des années 1930, après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, ses parents et sa grand-mère ont décidé de vivre ensemble pour des raisons de sécurité familiale et afin de réduire le coût de vie. Ensemble, ils ont acheté l’appartement où ils ont vécu toute leur vie. Maurice serait le seul à rompre avec cette tradition familiale.
Maurice et sa famille d’origine ont traversé toute la période de l’occupation nazie vivant dans cet appartement et y souffrant toutes les difficultés que l’occupation leur a imposées : le rationnement alimentaire hyper-contrôlée, l’eau, le charbon pour la cheminée en hiver, etc. Il se souvenait de la stratégie de bain adopté par sa famille pour économiser l’eau : le premier à se baigner était lui, puis sa grand-mère et ensuite, le dernier, était son père.
Comme tous les enfants français de cette époque, Maurice n’a pas été épargné par les horreurs de la guerre. Il racontait en pleurant que souvent il accompagnait un ami de famille, qui était juif, dans la rue de façon à le protéger, jusqu’au jour où il y a eu une descente de police dans l’immeuble et que cet ami et sa femme ont disparu.
Il se souvenait ému par la façon dont il avait reçu sa première banane à l’âge de 11 ans des mains d’un soldat américain sorti d’un char de guerre. Ces expériences, marquées surtout par la lutte de ses parents, sa famille et ses amis pour la libération de la France, entre 1940 et 1945, ont fait de Maurice un pacifiste. Le signifiant allié sera rappelé tout au long de sa vie et le pousse ainsi à faire de chacun/chacune qu’il rencontre, son meilleur ami.
Quant à sa vie scolaire, Maurice a déclaré qu’au début, il n’était pas un élève brillant et qu’il ne se faisait pas remarquer à l’école ni à la maison. Cependant, c’est durant son adolescence que les choses ont commencé à changer et il en est venu à se distinguer et à attirer l’attention de ses professeurs.
C’est à travers ses professeurs que Maurice s’est fait remarquer par sa mère, une femme extrêmement exigeante, fascinée par la langue anglaise, les arts et la mode. Elle était une excellente secrétaire et a travaillé toute sa vie dans le bureau d’un grand avocat américain, dans l’avenue des Champs-Élysées. Son père, un homme de famille plus modeste, travaillait comme illustrateur d’une entreprise de publicité. Il était aussi designer et a fabriqué des meubles pour la famille qui durent jusqu’aujourd’hui.
Maurice a fait ses études secondaires au Lycée Pasteur qui se trouvait proche de sa résidence. Après avoir échoué à deux reprises à l’examen d’admission à l’École polytechnique de Paris, une école militaire parmi les plus respectées en France, Maurice a réussi l’examen en tant que major (première place) et dans cet établissement, il a obtenu son diplôme de physicien. Étant alors major, il a eu l’honneur de porter le drapeau français lors du défilé du 14 juillet, en 1955.
Pendant ses études à la polytechnique et ses cours de spécialisation, il a partageait ses connaissances avec des collègues qui sont devenus des professeurs éminents tels que Patrick Fleury, physicien, collègue polytechnicien et Adrien Douady, mathématicien français important qu’il a rencontré à l’École Normale, avec qui Maurice s’est lié d’une amitié durant toute leur vie.
Au cours de cette étape académique, Maurice a vécu et a également partagé ses études avec un collègue algérien, Mohammed Liassine qui lui a appris, dans les entrailles d’une formation militaire française, ce qui signifiait se battre contre son propre pays, contre la colonisation française en Algérie et contre l’oppression du capital financier international, imposée aux peuples du monde, en particulier aux pays du tiers monde. Liassine sera devenu, dans les années 1990, le directeur du cabinet du Premier ministre algérien, Bélaïd Abdessalam.
En 1958, déjà à la fin de sa formation à la polytechnique, Maurice est parti aux Etats-Unis pour continuer ses études. Il a ensuite obtenu son doctorat à la Stanford University dans le domaine de la physique nucléaire à haute énergie. Il a épousé Nancy Bazin, sa première femme, dans la chapelle de l’université et Patrick Fleury a été son témoin. Maurice et Nancy se sont rencontrés lorsqu’elle étudiait Lettres à Paris et tous les deux ont poursuivi leur doctorat à Stanford.
Après avoir fini leurs études en 1962, ils ont décidé de faire un voyage en tant que journalistes pour le Hispanic American Report. Ce moment-là, le monde traversait la guerre froide et c’était l’époque de la révolution cubaine. Ensemble, ils ont visité toutes les îles des Caraïbes, les trois Guyanes et le Brésil. Ils se sont ensuite rendus sur le continent africain, où ils ont traversé le Sénégal, la Guinée, le Ghana et le Maroc.
Le voyage a duré six mois et Nancy est tombée enceinte pendant cette période. Ils sont retournés en France, où ils ont eu leur premier enfant, Michael Bazin, en octobre 1962.
En France, Maurice a constaté que, pour devenir professeur universitaire dans son pays natal, il fallait atteindre l’âge de 40 ans. Ce fait l’a déçu et cette désillusion ira le pousser à retourner vivre aux États-Unis, où plusieurs collègues étaient déjà devenus professeurs.
Il n’a envoyé qu’une seule lettre en demandant un poste de professeur et de chercheur, l’Université de Princeton l’a accepté. C’est dans cette même université qu’Einstein, l’une des grandes passions de la vie de Maurice, avait enseigné quelques années auparavant. Ensuite, Maurice a commencé à travailler à la Bubble Chamber, un programme du gouvernement américain qui menait des recherches sur les particules élémentaires. À cette époque, il s’engage dans le mouvement de non-violence et contre la guerre du Vietnam.
En 1965, Maurice écrit un livre sur la théorie de la relativité d’Albert Einstein avec ses amis de Stanford : Schiffer Menahem et Ronald Adler. Ce livre, plébiscité par la communauté scientifique, s’intitule Introduction to General Relativity (Introduction à la relativité générale) et est toujours en vente sur le site Web d’Amazon.
À la fin du programme Bubble Chamber, des chercheurs de l’Université Rutgers sont venus à Princeton et ont offert à Maurice un poste de professeur associé. Il a accepté la proposition et la famille a déménagé à Piscataway, à New Jersey. A l’Université Rutgers Maurice occupe un poste définitif dans le département de physique et lui et sa famille achètent alors une maison près de l’université. C’est là que sa deuxième fille, Christine Bazin, est née, en décembre 1969.
Soucieux de la position de nombreux chercheurs et de l’utilisation faite par l’État américain des résultats de la recherche scientifique dans son domaine, Maurice entame une nouvelle phase dans ses travaux : dans les années 1970, il met en pratique une philosophie de la science qui diffère davantage de l’idée forgée par l’entourage universitaire du « scientifique pur ».
À cette époque-là, de nombreux intellectuels et chercheurs des pays nommés « du tiers monde » migraient vers les pays du « premier monde », Maurice souhaitait alors apporter des connaissances à ces pays moins favorisés et il a mis en pratique ce qu’il a nommé Science for the People. Par ailleurs, un magazine américain qui portait le même nom était le support dans lequel Maurice et d’autres scientifiques, engagés dans des causes populaires, publiaient leurs articles. Dans cette même période, Maurice est parti dans des pays comme Cuba et Venezuela pour enseigner pendant de courtes périodes.
En 1971, Maurice a pris une période sabbatique et est parti, ensemble à sa famille, en Algérie où il a enseigné les mathématiques aux travailleurs d’usine. Ensuite, ils sont partis au Chili pour un an, c’était l’époque du gouvernement populaire de Salvador Allende et Maurice a enseigné la physique appliquée aux professeurs du département de physique de l’Université catholique du Chili.
En 1973, Maurice retourne seul au Chili, cette fois-ci pour travailler avec les ouvriers des usines. A partir de ce travail, il a créé le concept d’alphabétisation scientifique et technique qui consistait à former ces ouvriers, de les rendre capables à développer des compétences et des connaissances nécessaires pour faire face aux problèmes pratiques de l’usine et de comprendre comment gérer l’équipement d’une production. Ces ouvriers venaient de s’emparer des usines de leurs patrons et il leur fallait savoir comment assurer la production et l’évolution de l’industrie.
C’est pendant cette deuxième expérience au Chili que Maurice a rencontré la cinéaste et journaliste brésilienne, Tetê Moraes qui y était exilée à cause de la dictature militaire au Brésil. La période sabbatique de Maurice avait terminé et il est retourné aux États-Unis pour continuer son travail à Rutgers. Toutefois, cette période au Chili marquera le reste de sa vie avec un désir de s’épanouir et d’aller plus loin, toujours auprès du peuple.
En 1974, Maurice se sépare de sa première épouse et part vivre à New York avec Tetê qui était là-bas pour faire ses études en master. À cette époque, Maurice continue à enseigner à Rutgers, mais il est toujours impliqué dans les questions de la démocratisation de la science et participe à la publication de Science for the People. C’est à moment-là qu’il rencontre son ami Sam Anderson, mathématicien et militant américain noir, l’un des membres fondateurs du groupe Black Panther et avec qui il publiera, en 1977, le livre Ciência e In-dependência (Science et In-Dépendance).
En 1975, Maurice prend un autre congé sabbatique. Il était fatigué des États-Unis et voulait « redevenir français ». En France, il est accompagné par Tetê et il réessaie d’avoir un poste de professeur d’université à Paris, mais après cinq mois de tentatives, Maurice ne parvient pas à obtenir ce qu’il veut. Déçu à nouveau par son pays natal, lui et Tetê partent en vacances au Portugal et décident d’y rester. En août 1975, ils louent une grande maison à Estoril et, depuis le balcon, Maurice dit: “En regardant la mer d’Estoril, j’ai décidé de ne pas retourner à Rutgers.” Il quitte ensuite son poste professeur à l’Université Rutgers.
Ils ont vécu deux ans dans la maison d’Estoril où ils ont accueilli de nombreux exilés brésiliens, tels que Mário Pedrosa, Fernando Gabeira et Márcio Moreira Alves, ancien député brésilien devenu un ami très proche. Márcio était marié avec Marie Moreira Alves, une française dont Maurice était très proche aussi et qui, postérieurement, sera considérée comme une sœur.
Au Portugal, Maurice travaillait à l’Université d’Évora, où il enseignait la physique appliquée et voyageait chaque semaine d’Estoril à Évora. Cette période s’est passée toute de suite après la Révolution des œillets et pourtant ses échos ne se sont pas sentis à l’université. Maurice décide de quitter Évora et part travailler à la faculté des sciences de l’Université de Lisbonne, invité et financé par ses propres étudiants qui étaient passionnés par ses cours. En 1977, lui et Tetê ont déménagé à Lisbonne, dans le quartier de Picheleira.
Durant cette période, Maurice participait à une mission éducative de l’UNESCO et voyageait souvent en Afrique. En 1977, il a passé quatre mois en Angola pour former des professeurs de sciences à Luanda. L’année suivante, il participe toujours à la même mission de l’UNESCO, mais cette fois-ci en Guinée Bissau.
C’est probablement dans cette période que Maurice a fait connaissance de Paulus Gerdes, mathématicien marxiste néerlandais qui est allé au Mozambique après l’indépendance en 1975, pour participer à sa reconstruction. Paulus et Maurice sont devenus amis et ont commencé à parler et à réfléchir sur leurs respectifs domaines d’intérêt tout au long de leur vie. C’est également probable qu’à ce moment-là, Maurice a rencontré Paulo Freire et a connu son œuvre, à laquelle il restera profondément affecté.
Avec l’ouverture politique au Brésil, à la fin des années 1970, Tetê retourne dans son pays et Maurice l’accompagne. Ils se sont installés à Rio de Janeiro, en 1979. À septembre, il occupe le poste de professeur de physique à l’Université catholique de Rio de Janeiro, à côté de Pierre Lucie, et, ensemble, ils construisent le premier laboratoire de physique de l’université.
En participant activement à la vie politique et scientifique du Brésil à travers la Société Brésilienne pour la Promotion de la Science (SBPC) et des institutions tels que les laboratoires des instituts de recherche universitaires et de Fiocruz, Maurice prend connaissance des difficultés affrontées par ses collègues, les enseignants et les étudiants brésiliens concernant l’éducation.
En 1983, avec certains professeurs universitaires et les étudiants de la PUC et de Fiocruz, Maurice entame un travail de vulgarisation scientifique dans la télévision éducative : Ciência às seis e meia (La science à six heures et demie). Il collabore avec la construction des laboratoires itinérants destinés à promouvoir la science auprès du peuple, ces laboratoires traversaient les places de la ville de Rio de Janeiro. Dans le Dia da célula (Jour de la cellule), le laboratoire itinérant a mis à disposition des microscopes, des lames et lamelles pour montrer en détail les plantes, les petits animaux et des mèches de cheveux de sorte que les passants découvrent ainsi le monde de la science.
Il y a eu également le Dia do céu (Jour du ciel), avec le montage des télescopes dans les places. A chaque événement scientifique, la troupe de théâtre Tá na rua, dirigé par Amir Haddad, faisait des interventions théâtrales qui présentaient et interprétait le sujet scientifique en parvenant ainsi à unir l’art et la science avec le seul but de vulgariser et démystifier la science et l’homme scientifique, en montrant au citoyen qu’il est capable de comprendre les concepts scientifiques jugés complexes et que l’homme scientifique est aussi un citoyen comme lui.
En 1985, les responsables des laboratoires itinérants obtiennent un don du gouvernement de l’État de Rio de Janeiro : un hangar du métro situé à la place Saens Peña, partie nord de la ville. Cette réalisation a été le début d’un processus d’institutionnalisation et de leur installation dans un espace fixe et destiné à leurs activités. En 1986, ils ont inauguré cet espace nommé Espaço Ciência Viva (ECV), le premier musée des sciences participatives au Brésil. L’ECV reste opérationnel jusqu’à nos jours.
En 1989, séparé déjà de Tetê Moraes et ayant commencé une relation avec l’américaine, Eileen O’Donnell, Maurice quitte le Brésil et décide alors de retourner aux États-Unis pour travailler et vivre avec elle à San Francisco.
De retour aux Etats-Unis, il travaillera à l’Exploratorium, le musée des sciences participatives où Frank Oppenheimer a créé une méthode d’enseignement basée sur la construction de modules expérimentaux, le concept « Hands On ». Dans ce musée, tout visiteur est impliqué dans les expériences fournies par des modules expérimentaux, en manipulant et en réfléchissant aux expériences proposées. C’est en partie ce qui a également inspiré la création du l’ECV. À l’Exploratorium, ensemble aux professeurs américains, Maurice a aidé à créer le Teachers Institute, une formation pratique avec la méthode « Hans On ».
La méthode « Hands On » créée par Openheimer a la même structure de travail que Maurice avait développée auprès des ouvriers lors de son expérience au Chili en 1973, et qu’il appelle « Alphabétisation technique » dans son livre Ciência e In-Dependência. C’est cette philosophie de travail qui, dans les années 1990, a inspiré Maria Oly Pey, professeure au Département de l’Éducation de l’Université Federal de Santa Catarina (UFSC).
Bien qu’il ait déménagé à San Francisco au début des années 1990, Maurice tient toujours le cadre de président de l’ECV. A cette époque, toujours à l’Exploratorium, il crée un projet d’échanges entre l’Exploratorium et l’ECV. Cela a permis de réaliser de riches échanges entre les membres, où les éducateurs d’ECV travaillent à l’Exploratorium et vice versa.
Encore en 1987, à l’ECV, Maurice rencontre Enedina Martins, une étudiante qui avait commencé à faire du bénévolat. Elle deviendra sa future épouse et en octobre 1990, à Rio de Janeiro, sa troisième fille, Sarah Martins Bazin est née.
Au début des années 1990, Maria Oly Pey invite Maurice à organiser des ateliers concernant les sujets de physique et de mathématiques expérimentales à l’UFSC, à Florianópolis. Elle avait été inspirée par son livre Ciência e In-dependência : A ciência pura instrumento do imperialismo cultural o Caso do Chile (Science et In-dépendance L’instrument de l’impérialisme culturel de la science pure, le cas du Chili). Au cours de ces années, Maurice a été directeur d’Ademilde Sartori (Che) dans sa mémoire de master à l’UFSC et ensemble à Maria Oly Pey, Maurice a été co-directeur de recherche de Fabio da Purificação de Bastos. De cette collaboration est né le Núcleo de Alfabetização técnica (Centre d’Alphabétisation technique) de l’UFSC, qui rassemble des éléments de l’expérience de Maurice avec les ouvriers chiliens et les activités du Teachers Institute.
En 1997, Maurice est revenu au Brésil avec la perspective de vivre à Florianópolis. Il s’est d’abord installé à Rio de Janeiro, où Enedina Martins, sa femme, avait terminé sa licence en Psychologie. Tout en vivant encore dans l’Usina, quartier situé entre la Tijuca et l’Alto da Boa Vista, il a reçu José Mariano Gago, alors ministre de la Science et de la technologie du Portugal et ami de Maurice depuis son séjour à Lisbonne. Gago, inspiré par la création de l’ECV, envisage créer au Portugal une action pareille, la Ciência Viva (Science vivante). Il a donc invité Maurice à être son conseiller dans la construction de cet espace à Lisbonne.
A cette époque, le couple avait déjà commencé la construction de la principale demeure de la famille, dans l’attente d’un autre enfant. Eric Martins Bazin est né en décembre 1998, à Florianópolis, où la famille a déménagé pour vivre, un mois avant sa naissance.
Entre 1998 et 2006, Maurice a participé activement à tous les actions de la communauté du Campeche, quartier où la famille s’était installée. Il assistait souvent aux réunions de l’Association des pêcheurs artisanaux du Campeche et aux réunions des surfeurs où il surveillait de très proche les négociations entre les surfeurs et pêcheurs pendant la saison de pêche. Il a participé à l’Association des résidents du Campeche (AMOCAM), a contribué à maintenir et écrire le journal Fala Campeche, pour lequel il a interrogé les membres les plus âgés de la communauté afin de les écouter et d’écrire leurs histoires, avec le but de mettre en valeur et de maintenir la culture locale ; il a participé également aux actions communautaires pour la construction d’un bâtiment pour installer la Radio Campeche. Il s’est battu, ensemble aux habitants du quartier, pour la conservation du Bar do Chico et pour l’élaboration et la discussion d’un plan local d’urbanisme avec l’Institut de planification urbaine de la ville (IPUF).
À la fin de 1999, Sílvia Oliveira et Gilvan Muller Oliveira, un couple qui à l’époque avait fondé l’Institut pour la Politique Linguistique (IPOL), ils ont contacté Maurice et l’ont invité à se rejoindre à l’IPOL, un centre qui fait des recherches sur l’éducation et la culture des amérindiens. Il a rapidement commencé à travailler avec les indiens d’Amazonie et a été également invité à travailler à l’Institut socio-environnemental (ISA), basé à São Paulo. Chez ISA, Maurice a travaillé avec Flora Cabalzar. ISA et IPOL participaient tous les deux à l’éducation des peuples amérindiens et Maurice a collaboré avec ces deux institutions. Parmi ces collaborations, le travail avec le peuple Tuyuka à Alto Rio Negro mérite une attention toute particulière, puisque c’est à partir de cette approche qu’il a entrepris une relation très étroite et de confiance avec Higino Tuyuka, le chef de ce peuple.
C’est également à partir de ce travail, sous la direction de Gilvan Oliveira, que Maurice a pu témoigner la naissance de l’écriture de la langue Tuyuka et contribuer à la construction d’un langage mathématique propre de ce peuple tout en se servant des savoirs mathématiques déjà pratiqués dans le village pour la fabrication de toute sorte d’outil qui leur convenait, comme la vannerie, la construction de bateaux et tant d’autres.
Plus spécialement, Maurice a encouragé les Tuyukas à discuter sur les concepts mathématiques et de les définir dans la langue Tuyuka, en renforçant ainsi l’aspect politique très important non seulement lié à la survivance de cette langue, mais aussi à son épanouissement à partir de l’embryon de son langage mathématique propre et qui prenait sa forme.
En 2001, dans un quartier voisin du Campeche, Maurice Bazin et Enedina Martins ont commencé à travailler ensemble, accompagnés par quelques collègues : artistes, psychologues, psychanalystes, enseignants et assistants sociaux et un étudiant en Géographie dans ce qui est devenu plus tard, la Casa da Colina – Espaço de Saúde e Cultura (Maison de la Colline – Espace de Santé et de Culture). C’était un espace de travail qui regroupait des activités cliniques et communautaires dans les domaines de la Psychologie, de la Psychanalyse et des Arts et dont Maurice était président. Pendant huit ans, Maurice a coordonné une équipe de recherche sur la perception humaine qui a construit des modules expérimentaux qui ont abouti à une exposition de perception visuelle appelée O que tu vês ? (Que voyez-vous ?). Cette exposition a été inaugurée à l’occasion du Primeiro Sábado da Saúde (Premier Samedi de la Santé), organisée par le Movimento Pro-Saúde (Mouvement Pro-Santé), à Rio Tavares, en mai 2003. C’est à l’occasion de cet événement que le Conseil de la Santé du quartier a été fondé. O que tu vês ? a été le moteur de plusieurs activités visant à promouvoir les phénomènes de perception visuelle à Florianópolis.
Comme d’habitude, Maurice ne faisait jamais distinction entre son temps destiné aux activités intellectuelles et académiques et aux activités politiques. Ces activités étaient généralement liées à ses affections et à ses désaffections tout au long de sa vie.
En 2006, la famille déménage à Neuilly, à côté de Paris. En France, Maurice écrit à propos de ses expériences avec les indiens de l’Amazonie et il maintient des relations étroites avec ses amis les plus proches : Patrick Fleury, Douady, Jim Ritter, Roberto Salmeirão, entre autres. À cette occasion, Maurice est allé à Lisbonne pour conseiller José Mariano Gago avec son projet Ciência Viva (Science Vivante).
Encore en France, le couple Martins-Bazin se sépare en 2007. De retour au Brésil, Maurice revient à Rio de Janeiro et reprend sa collaboration avec l’ECV.
Dans les dernières années de sa vie, Maurice profite de sa retraite sans laisser de côté l’éducateur inné qu’il a toujours été. Il commence à étudier la langue des signes pour enseigner la physique aux étudiants sourds de l’Institut national de l’éducation des Sourds à Rio de Janeiro. Celui-ci sera le dernier projet dirigé par Maurice Bazin, qui demeure inachevé à cause de sa mort subite due à des problèmes cardiaques.
Maurice est décédé le 19 octobre 2009 à la Maison de santé de São José à Rio de Janeiro.
Cette trajectoire authentique tracée par Maurice Bazin, marquée par sa curiosité, son ouverture au nouveau – ce qui définit le scientifique qu’il était – sa générosité, son agitation et sa profonde conscience politique et sociale, était certainement motivée par le signifiant allié et ce n’était qu’un impératif.
Jamais, à aucun moment, Maurice a montré des signes de fatigue ou a fait une plainte liée à la surcharge de travail. A propos de son travail, il n’y avait aucune hésitation ni inhibition de sa part. Il s’est battu, sans relâche et impérativement, comme s’il devait gagner une guerre jour après jour.